Une nouvelle bière est née à la Brasserie Massy, la rousse Vauday ! Rousse comme la barbe du Seigneur des montagnes, reclu depuis des lustres dans le massif des Diablerets.
Ce sont les malts biscuit et ambré, ajoutés au malt pâle, qui lui donnent son arôme et sa robe typique. J’ai élaboré ces nouveaux malts avec de l’orge d’Yvorne de Guy Stalder, je les ai touraillés avec beaucoup de soin, en petite quantité. C’était du boulot, du tâtonnement, un peu de prise de risque, mais rien que pour l’odeur de biscuit qui a flotté dans toute la maison pendant quelques jours, j’ai hâte d’en refaire !
Le houblonnage est léger dans cette bière, avec une amertume modérée assurée par du houblon Nugget, et une pointe de Centennial en aromatique. Des fleurs de houblon cultivées à Bex par Laurent Guex et récoltées à la main.
Cette bière est donc, comme la Fenette, l’expression d’un terroir, une collaboration entre vieux potes, un travail en famille : l’étiquette est une nouvelle fois une création de mon fils Louis !
Mais alors, c’est qui ce Vauday ?
Le Vauday, c’est le Dieu-sorcier, le Roi-mage, le Maître de la sagesse, de la guérison, de l’extralucidité. Il peut commander aux éléments naturels. Il a la connaissance du Destin. Son nom signifie « fureur », mais dans le sens d’une exaltation, d’une transcendance, celle du guerrier, mais aussi de l’amant, ou du poète. Il est le Wodan de nos ancêtres burgondes qui l’on apporté avec eux lors de leur installation sur nos terres fraîchement christianisées, en 443. Ils ont probablement fait de nos montagnes immaculées la demeure, la forteresse inexpugnable, l’Olympe de leur dieu tutélaire.
Les Burgondes, comme tous les Germains, imaginaient Wodan sous les traits d’un vieil homme barbu, coiffé d’un chapeau à larges bords et vêtu d’un long manteau gris. (Oui, oui, Gandalf c’est lui…). Il était accompagné de deux corbeaux, Pensée et Mémoire, qui le renseignaient sur les événements des 9 Mondes, et de deux loups.
Il n’a pas plu, bien évidemment, aux prêtres et aux moines, qui redoublaient d’efforts afin de convertir les guerriers et le peuple, restés en grande partie païens après le baptême de leurs rois et comtes. S’en suivirent des siècles de lutte entre l’Eglise et les anciennes croyances, Wodan devenant un avatar local du diable sous le nom de Vauday, causant les avalanches, les tempêtes, les chutes de pierres.
De cette opposition millénaire, il existe de nombreuses légendes locales. J’en résume deux : Dans le but de se venger, le Vauday descendit de sa montagne des Diablerets et suivi le Rhône. Il chevauchait une vague énorme à l’écume brillante, brandissant dans sa main droite l’épée des combats. Il apparu ainsi, majestueux et terrible, au bruit sourd d’un vent d’orage et à la lumière étincelante des éclairs. Il lança une incantation magique au fleuve, et les eaux du Rhône se mirent à déborder, emportant tout sur leur passage. L’abbaye de Saint-Maurice menaçait d’être envahie par les flots furieux et déchaînés, mais les prières des moines empêchèrent les vagues de sortir du lit du fleuve. La magie de Vauday ne pu rien contre la ferveur des moines, et il se retira vexé et sombre sur ses hauteurs des Diablerets. On l’entend encore hurler sa colère lors des tempêtes de Foehn, que l’on appelle la Vaudaire chez nous.
L’autre légende concerne la Quille du diable. Ce rocher étonnant, planté sur la rive du glacier de Tsanfleuron, qui s’étend sous le sommet des Diablerets, est une sorte d’obélisque naturel dominant Derborence. Le Vauday et ses démons, par malice, s’amusent souvent à lancer des rochers, parfois énormes, contre cette quille gigantesque. Les coups ratés dévalent dans la falaise en contre-bas, emportant tout sur leur passage et détruisant les alpages de Derborence.
Mais bien que diabolisé depuis 1500 ans, le rôle bénéfique du Vauday est demeuré tenace. A la fin du 17ème siècle, un guérisseur (un mèdze en patois, un mage) qui avait une grande renommée jusque loin en Valais était surnommé « le Vaudai ». Sa clientèle provenait de partout et de toutes les classes sociales, sans en piper mot au curé ou au pasteur, bien entendu…
Le temps de la lutte de l’Homme contre les forces de la nature est révolu. Cette peur viscérale que nos ancêtres portaient à l’encontre des montagnes, du Rhône, des corbeaux et des loups ne vient pas de nulle part, et il est dur pour certains de s’en défaire. Nous n’avons plus besoin du Vauday en temps que dieu, il n’y a plus de combat à mener contre lui. Mais plonger nos racines profondément dans notre terroir est vital.
« Le monde a changé. Je le vois dans l’eau, je le ressens dans la terre, je le sens dans l’air. Beaucoup de ce qui existait jadis est perdu, car aucuns de ceux qui vivent aujourd’hui ne s’en souviennent. (…) Et certaines choses qui n’auraient pas dû être oubliées furent perdues. L’histoire devint légende. La légende devint mythe. » J.R.R Tolkien
Je me suis un peu étalé, mais j’aime bien le Vauday, tout autant que les Fenettes. Je suis monté au glacier des Diablerets jeudi, pour faire quelques photos de ma nouvelle bière au centre du royaume du Vauday. Le ciel était bleu profond, le soleil resplendissant, mais le vent était puissant et soulevait des volutes de neige tournoyantes. L’air était glacial. En tendant un peu l’oreille, je suis sûr d’avoir perçu le murmure d’une voix ancienne et sans âge qui disait : « Santé ! »